Vous venez d’être nommée secrétaire de la Commission spéciale Fin de vie à l’Assemblée nationale, quel est le rôle de cette commission ?
Cette commission est composée de 71 députés transpartisans et qui ont pour mission d’auditionner autant des associations, la convention citoyenne, des professionnels, des services de soins palliatifs… pour recevoir leurs avis sur ce projet de loi Fin de Vie. Plus de 35 h d’audition ont eu lieu la semaine dernière.
Quelle va être votre mission en tant que secrétaire ?
En tant que secrétaire, membre de droit du bureau, j’ai notamment pour rôle de rédiger les conclusions de cette commission spéciale. Il y a eu un équilibre dans les auditions avec des gens pour et des gens contre. Au cours de cette semaine, j’avais des convictions le lundi, et j’étais très troublée le vendredi.
Avec ce projet de loi, qu’est-ce qui doit changer, ou pas, par rapport à aujourd’hui ?
Depuis 2016, la loi Claeys-Leonetti permet d’accompagner dignement les personnes en fin de vie avec prise en charge de la douleur notamment. Cette loi permet entre autres une sédation profonde et continue. Mais elle reste méconnue et mal utilisée à mon sens. Suite à une demande sociétale donc, le président de la République a réuni une convention citoyenne qui a rassemblé 184 personnes tirées au sort, de tous âges, de tout milieu. Ils se sont retrouvés pendant neuf week-ends de trois jours. Dans leur conclusion, la grande majorité a opté pour aller plus loin dans la loi Clayes-Léonetti. Le projet de loi en est donc inspiré pour aller vers l’aide active à mourir.
Comment définir cette aide active à mourir ?
L’aide à mourir est une proposition qui concerne une personne qui demande à mourir, qui doit être informée et éclairée et qui a toute sa conscience, sans troubles cognitifs. Il y a obligation de lui proposer des soins palliatifs avant de mourir. Le rôle du médecin va être très important. Une solution létale sera proposée qu’elle devra s’administrer seule mais forcément en présence d’un personnel soignant. Il faut que la maladie soit incurable et le pronostic vital engagé, à court et moyen terme. Actuellement ce « moyen terme » me pose problème. C’est à revoir pour moi.
L’aide à mourir oui, sous conditions, mais contre l’euthanasie, pourquoi ?
Oui, je suis contre l’euthanasie. C’est un acte qui provoque la mort d’un malade pour abréger ses souffrances mais c’est un acte illégal et ce ne sont pas forcément des gens qui ont demandé à mourir. À la différence de l’aide à mourir, telle que proposée dans le projet de loi, cela concerne une personne qui demande à mourir. Le médecin, après avoir proposé des soins palliatifs et après s’être assuré que la demande ait bien été formulée par cette personne qui dispose de toutes ses facultés cognitives, va prescrire cette solution létale, que la personne va s’administrer elle-même, en présence d’un soignant. Attention, cela doit être de mon avis une décision collégiale.
Que dites-vous à celles et ceux qui militent pour ce droit à mourir ?
J’entends leur demande. Ces gens militent pour une liberté de choix de leur corps et de mourir dignement, je le comprends. Mais pour moi, on ne peut pas l’autoriser tant que l’on n’a pas réussi totalement à prendre en charge la douleur avant tout. Il faut aussi faire très attention et rester prudent face aux dérives. Je suis soignante, titulaire d’un DU soins palliatifs et d’un master droit, santé, éthique ; j’ai choisi ce métier pour soigner et pas pour tuer des malades. Alors la question qui se pose est « l’aide à mourir est-elle un soin ? », chez une personne qui ne supporte plus la douleur que l’on ne peut pas calmer.
Votre position face au suicide assisté ?
Ce n’est pas un suicide, ce mot ne doit pas être utilisé. Celui-ci est une crise psychique et l’expression de souffrances profondes existentielles. Comme le disent les associations qui luttent contre le suicide, ce n’est pas ce terme pour la fin de vie, c’est dangereux de l’utiliser.
En termes de soins palliatifs, qu’en est-il ?
C’est par là qu’il faut commencer je pense, c’est le sujet numéro 1. Aujourd’hui, il est urgent d’avoir une couverture nationale. Encore 20 départements en France n’ont pas d’unités de soins palliatifs. Il faut que ces services aient les moyens nécessaires pour fonctionner. L’occasion ici de souligner le travail remarquable du travail du service de soins palliatifs de l’hôpital de Dinan. Ces unités sont des lieux qui permettent d’écouter et de répondre aux dernières volontés des malades, peut-être juste être assis à côté d’eux. Elles permettent également d’accompagner les aidants. Cette approche devrait être connue de tous les soignants, que ce soit en cardio, neuro ou aux urgences, tous sont confrontés à la fin de vie. À la différence de ce qui est proposé dans le projet de loi, je pense qu’il ne faut pas en faire une filière médicale, je ne vois pas comment un médecin va choisir une spécialisation palliative toute sa vie. La culture palliative doit être transversale et faire partie de l’ensemble des formations médicales. Il faut des modules pour tous, pas une filière.
C’est un sujet compliqué et mes valeurs de soignante sont bousculées
Quelles sont selon vous les actions prioritaires à mener concrètement pour cet accompagnement à la fin de vie ?
L’urgence par rapport à ce projet de loi est d’informer sur ce qu’est la fin de vie. Je reçois des mails et messages où les citoyens ne voient ce projet que pour les personnes âgées ou handicapées. Il y a des amalgames. La loi de fin de vie concerne des personnes dont le pronostic vital est engagé. Et il faut être clair, c’est la personne elle-même qui demande à mourir. Une problématique d’ailleurs à faire évoluer dans ce projet de loi : la personne doit renouveler sa demande tous les trois mois, je ne suis pas persuadée qu’il faille le faire. Je précise également que cette loi ne concerne pas les personnes atteintes de la maladie de Charcot.
Vous exprimez des réticences, voterez-vous cette loi ?
Je ne sais pas encore sur quel bouton j’appuierai. Est-ce que si on vote cette loi, on ne risque pas encore une demande d’évolutions dans quelque temps. Aller vers l’euthanasie, ça reste une crainte pour moi. Plusieurs choses me heurtent encore. Dans ce projet, la personne doit s’injecter ou avaler elle-même le produit létal, si elle n’est pas en mesure de le faire, un soignant ou un proche pourra le faire. Je suis absolument contre cette charge psychologique trop forte pour un proche. On ne doit pas autoriser cela. Et en ce qui concerne la protection des soignants dans ce projet, il y a bien entendu une clause de conscience, le soignant a le droit de refuser et confier le patient à un confrère. J’ai peur que cela crée des tensions dans les services. Il ne doit pas y avoir de listes de soignants qui acceptent de le faire ou pas. C’est un sujet compliqué et mes valeurs de soignante sont bousculées. Car même si le projet de loi est assez équilibré, en l’état, il reste des flous à repréciser.